Par Marie Delarue, Boulevard Voltaire
Changement d’époque, changement de paradigmes, tiraillements entre désirs et nécessités, revendications libertaires et désir fou de protection tous azimuts. Chacun se « facebookise », se met en scène, « tweete » à tout va. Croit se planquer derrière des pseudos pour balancer sur la Toile tout ce qui lui passe par la tête, ses coups de cœur comme ses humeurs. Il y a là-dedans du plaisant et du déplaisant, du zélateur et de la délation, de l’info et de la désinfo…
On s’angoisse parce que la Toile, comme celle de l’araignée – son modèle -, est une extraordinaire machine à piéger. Plus efficace encore, elle ne se contente pas de retenir dans ses rets ceux qui s’y précipitent, mais elle remonte le fil jusqu’à sa source. Nous tenons là, sans même souvent en avoir conscience, la véritable machine à remonter le temps.
Les États-Unis excellent en cette matière. Piégeurs en chef, on sait qu’ils sont désormais planqués à l’entrée et à la sortie de tous les réseaux, avec leurs gigantesques oreilles intergalactiques et leurs filets à papillons intersidéraux. Le jeune informaticien qui, la semaine dernière, a révélé au monde les dessous du programme PRISM autorisant la NSA et la CIA à fliquer toutes nos connections, vient de révéler son identité au Guardian. Il s’appelle Edward Snowden, a 29 ans, et est parti se réfugier à Hong Kong. Petit frère du soldat Bradley Manning, le fournisseur des données à WikiLeaks dont le procès se tient actuellement, Snowden pense lui aussi avoir rendu service à la planète. Il avoue : « Je n’ai aucune idée de ce que sera mon avenir”, espérant simplement ne pas être extradé vers les États-Unis. Nul doute que pour avoir dénoncé la surveillance, ses faits et gestes seront les premiers surveillés. Il va être – il est déjà – l’homme le plus traqué, physiquement et virtuellement. Au nom de la sûreté nationale, il sera attrapé, même si, comme il le dit, il envisage de demander l’asile à l’Islande. Mais à quel titre, au fait ? Réfugié politique ? Réfugié numérique ?